Truc...

On a dû le réveiller à coups de botte. Son visage s'en est retrouvé boueux, égratigné, et je crois bien qu'il avait le nez cassé, après ça. Il n'a pas bronché, parce qu'on lui a hurlé qu'il devait y aller. Y aller. Il saignait, et ça lui dégoulinait sur les lèvres et le menton. Il aurait pu râler, il ne l'a pas fait. C'était la même chose pour tout le monde! Y aller. Ne pas réfléchir, monter au rempart, tirer, tirer sans discontinuer, et finir le nez (cassé) sur les dallages boueuses. Je ne me souviens plus vraiment son nom, un truc du genre Elden, Alden. C'était un Orian, mais il avait l'air d'un Arlevdti, avec ses cheveux noirs, sa peau blanche et ses yeux de loup. Encore un anonyme. Je me souviens qu'il est tombé, deux minutes après le réveil. Pas de café. Pas le temps d'engloutir les modestes rations que nos chers commandants nous donnaient, avec leurs airs de grands seigneurs offrant une pièce aux bouseux! Le type est mort, juste comme ça, en passant à découvert, sur le chemin de ronde, touché par une balle de sniper. Il sifflotait. Mal, parce qu'il avait du sang à la bouche, mais il sifflotait quand il est tombé. C'était assez pitoyable! Un autre, un officier en a profité pour donner du fouet à notre garnison famélique, un truc du style "vengez-le!". Je crois que quelques secondes plus tard, le sniper était mort. Ou vivant! Comment voulez-vous savoir, avec ces rafales, ces nuages de fumée, de poussière, ces explosions? Le mage qui était à côté de moi venait de lancer un sort, un joli petit éclair de l'ancienne école, particulièrement réussi, sur un de leurs tanks. Ils ont explosé en même temps. Forcément, les Arlevdti passent pour les meilleurs mages de bataille. Je me suis rangée, après ça, parce que je ne voulais pas finir maintenant. Comme tout le monde, j'imagine! Et pourtant, tellement finissaient de vivre quand ils ne devaient pas. Idem en face! Et derrière...! Les Yrades venaient à leur tour, tranquilles, on aurait dit un magma de tanks et de chevaux qui se déversait sur la plaine, pépère. Théoriquement, on aurait pas dû tenir. Les Orians sont peut-être d'excellents architectes, mais le fort était Yrade, avec la pierre qui s'effritait et le ciment pourri. Mais théoriquement, les Yrades détestaient aussi les Arlevdti, alors ça aurait pu passer! Si on avait pas été entre les deux. Parce que les Yrades, tout aussi lentement qu'ils aiment à faire avancer leurs armées, ils vont pas faire un détour pour contourner un fortin en ruine, surtout tenu par des Orians. Je sais plus, une vieille histoire, mais ils avaient une devise du genre "N'frah uldir'chac Yradh Yradh". "Les Yrades passent là ou veulent passer les Yrades." Heureusement, les Arlevdti sont des gens biens. Ils ont interrompu le siège -on était plus que 27, nous!- et nous ont gentiment contournés pour aller se fritter avec les Yrades. On a rassemblé nos blessés et on a filé. On allait pas rester pour trois pierres pourries et deux mètres² de terrain! C'était pas d'la désertion, pas de la lâcheté. On avait la frousse...Enfin bon. Là, on est en pause à Sckardint. C'est Arlevdti, mais on a plus l'air de tas de boue que d'Orians, et on arrive à se faire passer pour des soldats à eux qui reviennent de combat. J'ignore combien de temps ça va durer, mais j'espère que les Arlevdti reviendront pas tout de suite.