Elle ne dort pas. Elle ne doit pas dormir. Il est déjà deux heures et demie et elle lutte encore contre le sommeil. Demain, piscine. Piscine, dans son esprit d'enfant devrait tout de suite lui tirer un sourire. Piscine, batailles d'eau, éclats de rires, toboggan... Mais, piscine ne lui évoque rien de tout ça. Piscine, c'est maillot de bain, et maillot de bain, c'est impensable. Personne ne doit voir. Elle a déjà fait trop d'erreurs, et ses chutes répétées dans l'escalier commencent à causer des doutes. Le temps passe, elle se tourne et se retourne. Elle n'arrive plus à se maintenir éveillée, allongée. Elle voudrait faire les cent pas, mais c'est trop risqué, elle ne peut pas faire de bruit. Elle se lève avec précaution et reste debout en se forçant à contracter tous ses muscles à la fois. Elle doit se fatiguer, absolument. Un coup d'oeil à sa montre, quatre heures. Elle lutte de toutes ses forces. Elle ne doit pas flancher maintenant. Une main sur sa joue, elle est encore un peu tiède. Cinq heures. Elle marche tremblante vers la cuisine. S'il l'entend, elle est fichue. Elle est trop fatiguée, elle ne tiendra pas le coup, elle ne peut pas. Une marque de plus sur le visage et tout est découvert. Elle ouvre le congélateur. « Ne grince pas, pitié, ne grince pas ». Elle attrappe quelques glaçons qu'elle glisse dans son tee shirt. Elle se dirige vers la salle de bain. L'armoire à pharmacie. Elle se hisse sur la pointe des pieds et parvient à descendre quelques comprimés. Ça marche. Elle somnole, glaciale. Elle retourne debout dans sa chambre. Encore un peu. Sept heures moins dix. Elle se glisse dans son lit en attendant le réveil. Ça y est. Elle se lève sans bruit, se prépare rapidement avant d'aller servir le petit déjeuner. Sept heures et demie. Elle va secouer gentiment ses parents. Son père émerge, elle se dépêche de disparaître avant de croiser qui que ce soit. Elle marche le plus vite possible jusqu'au collège. Elle attend sur le trottoir. Il fait froid, elle grelotte. Elle porte de nouveau la main à son front. La fièvre augmente, quelques gouttes de sueurs froides perlent. Huit heures quinze, les portes s'ouvrent. Elle entre la tête baissée et va s'appuyer sur un mur dans un coin à l'abri des regards. Elle se range dans le préau avec sa classe, prête à partir à la piscine. Ses jambes flageollent. La prof de sport la voit. Elle s'approche. Touche son visage. La petite sait qu'elle est brûlante.
-« Oh mon dieu ! Encore? »
Le délégué de classe l'accompagne à l'infirmerie. Sa tête tourne dans tous les sens. Elle s'effondre sur la chaise. L'infirmière l'allonge sur la table et prend sa température. Des médicaments... Elle se laisse faire à moitié consciente. Elle s'en est sortie cette fois. Mais la semaine suivante, il faudra trouver autre chose. Elle ne peut pas tomber malade plus de quatre mardis de suite. Elle finirait par éveiller les soupçons. Elle s'endort.
À son réveil, la jeune femme est penchée au dessus d'elle :
« ça y est? Tu te sens mieux? Tu m'as fait une de ces peurs... Tu veux que j'appelle tes parents pour qu'ils viennent te chercher? Je n'ai pas osé pendant que tu dormais »
Elle reprend ses esprits. Parents? Elle sursaute :
« non, surtout pas! »
L'infirmière la regarde étonnée. Un élève qui refuse de rentrer chez lui au lieu d'aller en cours... Les jeunes de nos jours... C'est à n'y rien comprendre. Peu importe.
« Bon, il est dix heures. Je vais te garder pour la récréation, le temps que tu reprennes bien tes esprits. Ensuite, tu pourras rejoindre tes camarades en cours. Mais si tu ne le sens pas, ne te force pas, tu peux revenir me voir à tout moment. ».
Elle est soulagée. Elle reste allongée encore un peu. L'infirmière est de son côté, ça pourra toujours être utile.