Ça ne fait pas longtemps qu'elle est arrivée au foyer. On l'a déposée ici, il y a trois jours. Elle dort avec quelques autres filles. On lui explique qu'elle va passer un moment ici, que l'on verra plus tard pour les cours, pour l'instant elle doit récupérer. Elle visite l'établissement. C'est un peu comme un collège, avec un réfectoire au troisième étage. Le rez de chaussée est réservé aux activités sportives ou les réunions. Au dessus, le pire des étages, les bureaux et l'administration. Là, les bureaux du directeur, de ses adjoints, la salle des éducateurs et les pires de tous, le cabinet du docteur, et celui de la psychologue. Au-dessus du réfectoire, encore des salles, pour les activités manuelles, le théâtre, la musique, les discussions, tout ce qui est censé les aider à se réinsérer dans une vie normale, à prendre conscience de ce qui s'est passé, à comprendre ce qu'ils font ici, à s'en sortir. En haut, les dortoirs. Divisés en deux parties, à gauche, les moins de dix ans, à droite, dès onze ans, qui ont droit à deux ou trois salles d'activités, notamment le plus important, des ordinateurs.
Elle ne la sent pas trop cette nouvelle vie. En trois jours, elle a passé cinq heures chez la psy. Qu'est ce qu'ils lui veulent? Elle aura faim plus tard, et puis, qu'ils lui laissent le temps de s'adapter aussi, avant de faire semblant de s'inquiéter parce qu'elle n'a pas encore parlé à ses camarades. Pourtant, la plupart ont à peu près le même âge qu'elle. Peu ont plus de quinze ans. À cet âge là, en général, soit c'était totalement fini pour eux et ils ont été adoptés depuis un moment, soit ils sont en familles d'accueil, soit ils sont retournés dans leurs familles d'origine. Ceux qui ont été placés plus tard sont dans des « résidences » encadrées mais bénéficient d'un peu plus d'autonomie. Ceux qui sont là n'ont pas l'air méchants, mais un peu bizarres. Certains lui ressemblent un peu, mais elle l'admettra plus tard.
Elle a les cheveux blonds, et très longs. Elle ne les a jamais coupés de sa vie. Son père ne voulait pas. C'est normal, les parents offrent un patrimoine à leurs enfants et ils en disposent donc totalement. En plus c'est utile pour cacher ses cicatrices, et son visage qu'elle trouve si hideux, avec son teint si pâle, ses yeux clairs, bleus, gris, verts, elle n'a jamais su. De toute façon elle s'en fiche. Ses longs cheveux donc, fins et raides, à peine ondulés sur la longueur sont mal démêlés. Il est dix heures du matin. Elle est assise sur son lit. Son père vient de lui téléphoner. Elle a compris le message. Elle a été placée, donc elle ne fait plus partie de sa famille, elle est orpheline avec des parents. Tout à coup, sans comprendre, elle le hait un peu. Elle sait qu'elle a tort, que ce sera sans doute passager, le temps qu'elle se ressaisisse, il a parfaitement raison. Pourtant, sur le coup elle n'a pas le recul. Elle est prise d'une soudaine envie de couper les ponts avec son ex-famille, puisque maintenant, comme on le lui a dit à ses premiers pas dans le dortoir, il va falloir construire sa famille du coeur, au moins pour un temps. Elle est très en colère. Elle se lève, elle marche dans tous les sens. Le foyer est vide, les enfants sont tous en cours, sauf quelques uns qui jouent probablement quelques étages au-dessous. Elle ne sait plus. Elle est submergée. La colère, la tristesse, l'envahissent, inexprimables. Elle trépigne, court pour s'écraser contre les murs sur lesquels elle tape sa tête. Elle se laisse tomber, un peu calmée, fatiguée. Puis elle se relève et ouvre lentement son tiroir. Elle est prise d'une sorte de sadisme, un désir de vengeance. Elle attrappe sa trousse, en sort ses ciseaux. Avec un petit sourire sur les lèvres, elle saisit ses mèches blondes avec violence, par poignées et les coupe, comme ça, pas très courts, juste pour les couper, et à chaque coup de ciseaux, c'est comme si elle frappait son père, comme si elle le brisait comme il l'a brisée. Comme si elle le faisait vraiment souffrir, comme si elle l'atteignait au plus profond de son amour propre. Elle s'effondre sur son lit.
Elle se réveille, si jamais elle a dormi, brûlante de fièvre. Elle pleure. Elle passe machinalement ses mains dans ses cheveux, par réflexe et se souvient qu'elle vient de les couper. Elle regrette son geste. Ses parents, toute sa vie. Elle s'en veut tellement. Pourtant, il l'avait prévenue que ses accès de colère ridicules et démesurés allaient la mener un peu trop loin. La prochaine fois, elle l'écoutera, sauf qu'il n'y aura pas de prochaine fois, plus maintenant.
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Mar 22 Mai - 20:59
