Il faut qu'elle ait des relations avec les autres enfants. D'accord, pourquoi pas, elle fait des efforts. Elle discute avec Seb et Nico. De choses et d'autres, de tout et de rien, surtout de rien. Ils papotent devant un puzzle stupide. Elle ne s'entend pas vraiment avec les gens de son âge au collège, mais là c'est différent. Ce sont surement les infortunes de la vie qui en sont la cause. Il y a quelque chose, dans leur façon de parler, de penser, dans leurs yeux qui brillent pour pas grand chose, comme ça. Cette capacité à sourire pour des petites choses, à ne jamais se lamenter sur son sort, à toujours savoir en rire, à toujours trouver pire que soi. Tous ces petits plus de rien du tout qui en font des personnes tellement gentilles et généreuses. Bien sur que de l'autre côté, il y a des points négatifs aussi. Une certaine agressivité quand on aborde les mauvais sujets, des peurs qui peuvent paraître injustifiées... Mais qu'est ce que ça peut faire? Elle a fini par comprendre, presque par admettre qu'il faudrait bien qu'elle s'y fasse, et que faute de famille, elle aurait besoin d'amis.
Nico pose la cent cinquantième pièce du puzzle.
_« On fait une pause? »
Seb acquiesce. Ils vont tous les trois s'asseoir un peu plus loin, au calme. Nico le plus âgé des deux, qui a quinze ans et des poussières, fixe son visage depuis un peu trop longtemps. Elle sait ce qu'il regarde, elle l'aime bien Nico, mais là... Pourtant elle ne lui en veut pas. Elle a un peu peur, et dès qu'il s'agit de ça, elle passe sur la défensive. Elle dit d'un ton agressif :
_« Quoi ? Qu'est ce que t'as ? Tu veux ma photo ? »
Il bafouille, surpris.
_« Non...euh... je me demandais, t'as une drôle de marque sur la joue... En forme de...
_Rien du tout. En forme de rien, tu m'énerves. Tais-toi. »
Nico, il est gentil, mais elle en fait un peu trop là, quand même. Il y a des limites. Elle a des problèmes? Lui aussi, comme tout le monde ici, ça n'excuse rien.
_« Oh! Ça va faut pas abuser, je t'ai rien fait. Arrête de t'énerver. C'est tes parents c'est ça hein? Mais il faut faire une croix dessus mec (mec, c'est une convention, elle ne supporte pas qu'on la traite de fille, les autres l'ont bien compris). Tes parents c'est fini. C'était des tarés, c'est pour ça que t'es là, il faudra bien que tu te fasses une raison. »
Elle ne peut rien répondre. Elle reste bouche-bée. Des larmes essaient de pousser les paupières de ses yeux clairs pour sortir. Elle les retient. Elle se met en colère, pour cacher sa vulnérabilité. Elle se jette sur lui et le frappe. Elle l'a eu par surprise, il se laisse prendre au début. Et puis il l'arrête. Il attrape ses deux mains et il les serre dans les siennes. Elle pleure sans faire beaucoup de bruit. Ses violents sanglots la secouent. Elle continue de se débattre sans entendre les mots qu'il lui chuchotte pour la calmer. Un éducateur, qui passe les prévenir que c'est l'heure de dîner la soulève et l'emmène à l'écart. Elle est si légère encore. Elle ne parvient pas à se calmer. Il la fait entrer dans une petite pièce et la laisse s'asseoir en fermant la porte. Il s'assied par terre à côté d'elle en la tenant doucement mais fermement. Elle pleure tellement qu'elle est prise de spasmes et peine à respirer. Elle gère, elle a l'habitude, mais il faut qu'elle s'arrête. Elle se laisse tomber au sol. Alors, il lui prend la main et parle d'une voix douce. Elle en a de la chance pourtant d'être ici. Les éducateurs sont gentils, ils peuvent faire plein de choses, et puis elle a des copains tellements attentionés. Elle s'en veut d'avoir été si méchante avec Nico. Il la tenait si gentiment alors qu'il avait la force de la mettre par terre et de la blesser en quelques secondes. L'éducateur se lève et la regarde. Elle est assise, le visage sur les genoux, et les bras en croix au dessus de sa tête pour se protéger. Il essaie de la mettre en confiance. Il lui explique qu'ici personne ne la frappera, que tout le monde veut son bien. S'il croit que son père lui expliquait qu'il allait la frapper pour lui faire du mal... Elle écoute. Il lui raconte qu'elle est là pour se calmer, qu'elle ne restera pas là longtemps si elle fait ce qu'on lui dit, qu'elle doit juste réfléchir à ce qui s'est passé. Il dit qu'il ne fermera pas la porte à clefs, de toute façon il n'a pas le droit, mais qu'il lui fait confiance et qu'il sait qu'elle ne sortira pas. Il sort. Elle reste un temps assise dans le coin. Elle arrête de pleurer. Elle s'en veut tellement. Elle a envie de tout casser, mais il n'y a rien. Juste du papier et un crayon. Elle se mord la lèvre jusqu'au sang, pourtant personne ne la menace, et c'est justement cela qui lui fait peur. Personne ne lui dit rien, on ne lui explique pas ce qu'on va lui faire. On lui cache des choses. Avec son père au moins c'était clair. Elle faisait une bêtise, elle était punie. Elle savait comment. Elle parlait mal? Même chose. Une mauvaise note? Encore. Parfois, elle ne savait pas trop quoi faire parce que tout n'avait pas été dit, ou parce que son père était énervé et la frappait alors qu'elle n'avait pas le sentiment d'avoir fait quelque chose de mal, mais elle savait qu'il avait raison, et elle apprenait. Là c'était différent. Il l'avait laissée là, elle ne savait pas ce qui allait lui arriver, et personne n'était là pour la punir, pour lui dire qu'elle avait fait quelque chose de mal. Au contraire, on lui avait murmuré avec toute la délicatesse du monde qu'elle avait fait une petite bêtise, qu'elle devait se calmer. Qu'est ce que ça cachait... Elle se frappe la tête contre la table le plus fort possible, une fois, deux fois, trois fois, dix fois. Elle se laisse glisser sur le sol. Elle s'allonge par terre, les yeux ouverts, comme pour regarder des étoiles absentes. Elle attend un peu. Et puis, elle se lève et écrit. Elle écrit tout. Tout ce qu'elle a sur le coeur. Tout ce qu'elle voudrait crier depuis tellement d'années. Tout ce qui lui fait mal, et tout ce qui lui fait du bien. Tout ce qu'elle aime et qu'elle hait tellement à la fois. Elle jette son coeur sur le papier, sans trier, en vrac. L'éducateur, Matthieu, c'est marqué sur son badge, vient la chercher. Au moment où il entre, elle saisit ses pages écrites d'un trait et elle les déchire, toutes les cinq. Elle détruit tout ce qu'elle voudrait laisser derrière elle.
(il est p'tet pas tout à fait fini j'sais pas encore)
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Jeu 24 Mai - 21:46
