épisode 0.9

En fait, il se passe avant celui de la piscine pour le moment où elle se rappelle, mais elle se rappelle un moment qui s'passe bien avant, elle avait sept ou huit ans (et un peu après aussi).

Il est vingt heures. Il vient tout juste de rentrer. Elle était dans sa chambre. Pour une fois, elle n'a pas fait grand chose de mal, mais rien de très bien non plus. Il a fermé à clef, elle ne dînera pas ce soir. Elle s'allonge sur le matelas, posé à même le sol et tire la couette pour recouvrir son visage. Seuls ses yeux dépassent à moitié. Elle regarde le plafond fixement en attendant le sommeil qui ne vient pas. Elle est en colère. En colère contre elle-même. Pourquoi même sa petite soeur fait tout mieux qu'elle? Fait moins de bêtises? Alors elle se souvient. Quelques années auparavant, il n'y a pas si longtemps que cela, il devait être à peu près la même heure et il venait de la punir. Il l'enferme dans sa chambre. Elle ne pleure pas. C'est une enfant insensible. Elle ne ressent rien, ni physiquement, ni moralement. Elle ne sourit jamais non plus, elle ne joue pas avec les autres, mais personne ne voit que quelque chose cloche. Elle non plus d'ailleurs. Elle sort la peluche, cachée sous son matelas et s'assied sur la couette. Son secret, à cette petite fille qui n'éprouve jamais rien, c'est de n'être pas elle. Celle qui fait plein de bêtises et qui est punie tout le temps, c'est cette espèce de poupée de chiffon informe dont on ne peut plus discerner le visage, qu'on ne peut pas identifier. Ç'aurait pu être un chien, un ours ou un clown, on ne l'aurait pas vu. On distingue cependant encore ses ailes d'anges dans son dos. Elle n'a jamais touché à ses ailes. Même si Elwing – elle l'a nommée ainsi en partant de « ailes » et de « wings », le premier mot anglais qu'elle a appris, dans une chanson et qui est devenu Elwing par commodité – est tout sauf sage, il faut toujours lui laisser ses ailes pour s'envoler. Elle l'attrape brutalement et commence à frapper la petite peluche avec violence. Elle met toutes la force de ses petits bras dans les coups qu'elle lui inflige. Elle l'étrange, elle l'écartèle. Elle sort ses ciseaux de leur cachette, au fond de sa housse de couette, et les enfonce dans son tas de chiffon. Elle rejette toute sa douleur dans cette petite poupée, qui a gardé ses ailes. Des ailes pour deux. Des ailes pour s'envoler sous les coups de la gamine, mais surtout des ailes pour envoler la gamine tout court, quand elle n'en peut plus de subir les coups de Son Bourreau, pourtant si juste, qu'elle admire, qu'elle vénère, qu'elle aime plus que tout...