Loin du bruit, loin du monde

*Le vent soufflait fort, fouettant les flancs des montagnes et produisant des sons étranges en s'engouffrant dans les cavernes. Les persistants pliaient à peine sous cette brise glacée. Les animaux avaient décidé de ne pas sortir de leurs tanières, seuls quelques rapaces affamés étant assez courageux pour se morfondre sur un rocher à l'abri du vent. Montagnes désertes.
Et pourtant, accroupi au-dessus d'une grotte, profitant du paysage sans réellement le voir, un homme. Anciennement désabusé de la vie, il était peut-être sur le chemin du "un sourire tous les 10 ans" grâce à ses deux compagnons de route, mais lui-même n'y croyait pas trop. De toute façon, ça lui était égal.
Seule sa cape rouge tourmentée, claquant à la moindre bourrasque, permettait de le distinguer d'une sombre statue rappelant aux Hommes que de leurs faux-pas naît leur perte. Oh, pas leur perte matérielle, non. La perte de leur âme, de leur coeur, de ce qui leur permet encore de vivre et de survivre.*

(*Mode je-harcèle-Vanycent-on*...Ou on a la classe, ou on ne l'a pas...)
*Syül fendit le roc en un souffle. Sa force vampirique n'avait cessé de s'accroître au fil des nuits. Il ignorait tout du temps qui passait, comme il arrivait souvent à ceux fraichement immortalisés (une dizaine d'année que les crocs du vampire s'était refermés entre ses écailles...), et affichait encore, sous sa silhouette hybride, l'air maladif de l'adolescence. Sa peau presque transparente semblait pouvoir s'effriter au moindre coup de vent, et pourtant, on devinait dans cet immortel quelque chose de millénaire, aussi froid, poli, blanc et luisant que l'ivoire d'un Hollyphant (créature légendaire des pays de Làbas, et encore de Parici, sorte de pachyderme enchanté et étonnament placide). En quoi differait-il des autres vampires? Quelque temps (mois? années?) auparavant, il se pensait irrémédiablement différente, parce qu'il avait une éthique et ne se nourrissait que de sang animal, ou sur les cadavres anciens. A présent, quelques gorgées par mois, un meutre silencieux, cela ne lui paraissait plus aussi...obscène? Il commençait à s'effrayer. La lame crochue se leva à nouveau. Elle était couverte des cicatrices de l'acier qui a longuement servi, à été raboté et refondu, mais restait de bonne taille -il s'agissait d'une lame draconique courte, n'avoisinant donc "que" le mètre et demi-, mais restait redoutable. Elle avait appartenu à Harmonie Ziernanna Aeryel, une ancêtre, et, d'après les contes, une dragonne originale et plus portée sur l'efficacité au combat que sur l'honneur. Elle, elle avait le bon sens d'abbattre les enemis à terre et dans le dos. Il n'empêchait qu'Harmonie Ziernanna restait à ce jour l'Aeryel ayant vécu le plus longtemps. Tout à son entrainement sommaire consistant à éprouver la solidité grâce à de l'acier renforcé et à de la force mort-vivante, il ne remarqua personne.*

[Je crois que ça ne dérange personne... Encore moins mon p'tit Van :shy: ]

*Simple silhouette surplombant l'horizon... Simple ombre au tableau, au but indéfini... Ce qu'il pensait pouvoir le représenter le plus, c'était "créature entre ombre et lumière". Ou alors "être vivant sans idéaux". "Vivant" ? Matériellement, oui. Pourtant, il devait plutôt être mort. Oh, et puis il s'en fichait, de ça aussi. Il s'en fichait, de qui il était vraiment. Il s'en fichait, de savoir que le paysage était beau. Il s'en fichait, des animaux, et de la brise, et des sapins, et de... De tout. Rien n'avait d'importance. Le Mal était aussi bien que le Bien, le Bien était aussi mal que le Mal. Tout lui était égal. Même mieux : tout était égal à tout.
Une odeur délicatement apportée par un souffle frais vint le sortir de son énième réflexion sur la vie et la mort. Une odeur étrange, anormale et pourtant familière. Très familière. L'une de ces odeurs qu'on n'oublie jamais.
Toujours aussi immobile et froid qu'un bloc de granite, Vanycent aperçut un mouvement du coin de l'oeil. Il cligna des yeux et tourna à peine doucement la tête pour mieux voir. Encore un humain qui cherchait à voir cet horizon "si magnifique, si splendide" comme les autres aiment à le dire. Non. Trop maigre. Il bougea encore imperceptiblement la tête. Trop blanc, aussi. Et trop... Draconique !? Une queue, des ailes, des oreilles, une peau blanche, maigre ? Non, ça ne pouvait certainement pas être un humain. Ni un démon.
Bien que flegmatique, Vanycent ne put cacher sa surprise en entr'ouvrant légèrement ses lèvres froides. Un murmure, un souffle se mêlant avec la brise s'en échappa. Un nom, surtout. Celui de Syül, autre "ombre au tableau".*

*Les ailes de Syül se déployèrent alors qu'il effectua un bon gracieux sur le coté, un poing maigre refermé sur la garde d'une lame aussi épaisse que lui et aux deux tiers aussi grande. D'instinct, les griffes de sa main droite -il était gaucher- étaient sorties, et il avait entrouvert la bouche pour montrer les crocs, sourcils froncés et cheveux retombant avec une lenteur neigeuse sur ses épaules et entre ses ailes. Un rocher fendu avec netteté, si on exceptait les fines rainures de la roche due aux crochets de la lame s'écroula en arrière, avec la lenteur typique de quoi n'est pas sur le même plan que les réflexes surhumains et surdraconiques d'un vampire. A travers la membrane très fine des ailes, le soleil perçait, d'ailleurs, une fumée rougeâtre presque imperceptible émanait de la peau découverte de Syül. Mais il avait ingurgité suffisamment de sang pour résister au soleil une semaine, et n'éprouvait qu'une légère démangeaison. Sa lame retrouva instinctivement son attache à la ceinture de l'hybride (aucun fourreau ne pouvait contenir une épée aussi tordue)lorsqu'il s'aperçut de la nature de l'Autre. Ses griffes argentées rentrèrent, et il se détendit jusqu'à ne plus ressembler qu'à un beau masque de glace polie, qui murmura avec un étonnement dissimulé:*
-Vanycent Manoirouge. Toi.
*Le haussement de sourcil fut à peine perceptible. Il replia les ailes et descendit du monticule de pierre sur lequel inconsciemment il avait fait un bond. L'Autre ombre, il la connaissait bien. Une nuit, une terrible nuit de garde, ils avaient parlé, et leurs confessions avaient souillée de larmes une fontaine. Il s'en souvenait parfaitement. La date lui manquait, seulement. Mais il se rappellait aussi la mort de quelqu'un qu'il avait pu considèrer comme un ami, et non comme un proche compatissant ou pire, comme un inconnu compatissant.*

*Vanycent aurait presque pu sourire. Il n'en fut rien. Trop compliqué de sourire. Avec sa nonchalance et son impassibilité habituelles, il se leva et se tourna vers le seul être (l'idée d'ajouter "vivant" ne lui effleura pas même l'esprit, que ce soit pour le désigner lui ou son ami) qui pouvait le comprendre. Ayant retrouvé son immobilité, il détailla le dragon-vampire et cligna des yeux pour ensuite faire s'élever sa voix grave, douce et lisse.*

- Je ne pensais pas te revoir, mon Frère.

*Syül battit es paupières, ce qui équivalait chez le dragon transformé à une explosion de joie. Il avança la jambe et se courba légèrement, en une révérence respectueuse à son aîné.*
"C'est bon de te revoir, Frère."
*Ses cheveux neigeux voletèrent, portés par la brise, pou retomber aléatoirement, encore une fois, sur ses épaules. Il avait retrouvé son ami. Pas forcément le seul, mais l'unique personne au monde à pouvoir le comprendre. Douloureusement semblable. Malgrés tout, Siül était heureux, mais il se gardait bien de le montrer. L'étiquette étrange qui s'était formée entre eux interdisait certes les débordements. Jusqu'à un certain point. Syül y réfléchit quelques secondes, avant d'ajouter:*
"Je ne pensais pas te revoir vivant. Mort. Je ne pensais pas te revoir dans l'état dans lequel je t'ai connu."
*Il soupira si légèrement que ce fut imperceptible, et son souffle était plus glacé que le vent.*

*Vanycent ferma un instant les yeux et revit l'étrange bataille contre le Fléau. Oui, il avait été tué, durant ce combat. Pendant plusieurs minutes, il avait été mort. Mais ramené à la vie par un prodige qu'il avait encore du mal à croire. Mortadir et Angel avaient joué avec les Lois que doivent respecter tous les élémentaristes, et ils avaient bien faillit bousculer l'Ordre immuable de l'Univers.
Il rouvrit les yeux et courba légèrement le dos pour s'incliner avec respect devant Syül, faute de pouvoir l'embrasser comme le feraient normalement deux compères longtemps séparés.*

- Il faut croire que quelques gens avaient du temps à perdre pour me ramener. Maintenant que je t'ai retrouvé, je crois que ceci est à toi.

*De sa main draconique, il sortit une dague abîmée et légèrement inquiétante d'un plis de sa cape. Elle n'était certes pas aussi tordue et meurtrière que celle que porte toujours Syül sur lui, mais ses sortes de dents d'un côté de la lame avaient de quoi éveiller l'appréhention. Van la détailla un instant et la tendit à son ami.*

- Tu l'avais oubliée à Astemir. Dans ma main.

"C'est...bien possible. Merci."
*Syül saisit la dague par la lame, et s'entailla très légèrement un index fin comme une brindille décolorée. Une goutte de sang terne perla sur sa peau presque transparente, avant de disparaitre d'elle-même. Le "dragon" inspecta quelques seconde la dague, et se jura intérieurement de ne plus jamais s'en servir.*
"Merci encore. C'était une bonne arme."
*Syül la fit disparaitre dans une gaine de cuir dissimulée le long de son avant-bras, en un geste de la main à peine esquissé. Ses ailes vibraient très légèrement sous le vent, de temps à autre, plus délicates que celle d'un papillon, elle se déployaient et Syül les ramenait patiemment contre son dos.*
"Astemir est loin, Frère. Il s'est passé beaucoup de choses depuis. Mais lesquelles, ce serait une perte de temps, pour les miennes. Qu'est-ce-qui amène Vanycent Manoirouge ici?"

*Van secoua la tête*

- Rien de spécial. J'ai suivi les deux autres, c'est tout. Je n'avais plus rien à faire "là-bas". Alors je me retrouve "ici".

*Il battit des paupière et se retourna un instant, laissant ses yeux rouges et sa vue reptilienne se ballader sur le paysage en contre-bas. Un mouvement dans la proche forêt attira son regard, puis un rapace sortit de parmis les arbres, traînant avec lui une carcasse morbide. Vanycent ne put s'empêcher de repenser à cette bande de gobelins qui leur avaient tendu une ambuscade sur un chemin. Leurs corps découpés ou grillés par la foudre devaient maintenant avoir disparus grâce aux charognards. L'homme-dragon laissa l'ombre d'un sourire cynique passer sur ses lèvres et revint sur Siül.*

- La dernière fois, zyl était présente. Es-tu ici seul, mon ami ?

*Lui aussi avait reperé le rapace. Il devait au moins ça à son vampirisme, toute l'existence des mortels lui passait désormais en vitesse très ralentie. Syül était devenu froid et calculateur, mais n'était-ce pas plutôt ce qui découlait de sa nouvelle célérité?*
*Le visage impassible de Syül se tordit de douleur (comprenez: Il se mordit la lèvre d'un air vaguement préoccupé et leva un sourcil) à la question de Vanycent, et il porta instinctivement une main sur son coeur, qui pourtant avait cessé de battre depuis une dizaine d'années.*
-Zyl, ma mère n'est pas là, mais il est rare qu'un Aeryel voyage seul...Même...Quelqu'un...Quelque chose comme moi. Mais Eldaë et Zyl(il avait renoncé à appeller quiconque "maman" ou "papa" depuis des années, même si ce n'était pas l'envie qui lui manquait) ont insisté. Autant ne pas te le cacher, mon compagnon de voyage est mon frère...Le...L'Egide...Aube. Thareljii...
*Il haletait, comme en manque d'un air qu'il ne respirait pas.*
-Oublie ça. Aube me déteste.
*Il savait pertinemment que ce n'était pas l'exacte vérité. Le lien, si puissant, qui existait autrefois entre le dragon d'or et le dragon d'argent s'était attenué, mais jamais l'amitié ne disparaitrait. Ne serait-ce que pour la plus grande gloire d'Aurore, leur déesse commune. Et alors? Aurore aussi était morte, et Aube la vénérait. La douleur venait à Syül à l'idée que son frère le détestait juste pour le fait qu'il...Qu'il avait changé.

*Vanycent ne put s'empêcher de pencher la tête sur le côté de manière interrogative. Un dragon ? Détester son frère, même mort-vivant ? Intéressant. Ou pas. Dans les deux cas, Siül avait au moins la chance d'avoir une famille, aussi distante puisse-t-elle être envers lui. Bien que l'intérêt de Zyl pour ce qui s'était passé dans la taverne - elle les avait emmenés au cromlech pour qu'ils lui racontent tout - démentait un amour maternel certain.
Van sauta par-dessus un roher afin de se retrouver face au dragon et s'autorisa à poser sa main sur l'épeule de celui-ci de manière encourageante, sans pour autant ajouter un seul mot.*

"Nous allons contre la volonté de Zyl, mais tu ne nous verra jamais ensemble. Plus jamais, jamais...Bah. Je suis éternel, lui non. Il sait au moins que je pleurerai sa mort."
*Il frissona.*
"Merci, mon ami. Merci."
*Le dragon leva la main pour protèger ses yeux sensibles d'un rayon de soleil plus investigateur que les autres. A travers les doigts arachnéens, de fines veines semblaient figées, colorée d'un sang terne, ce qui faisait ressembler ces premiers à du marbre fin.*
"Tu es avec les "autres", non? Spyra...Et son frère? Ou...quelqu'un d'autre?"
*Syül avait parlé de ce ton neutre qui les caractérisait aussi bien tous les deux. Son frère. Qui semblait détester Vanycent. Aux dernières nouvelles, c'était "à cause" de lui que Zyl avait chargé Syül d'assurer la surveillance de Vanycent. Il frissona au souvenir de l'épisode d'une Zyl en furie. Elle avait eu peur. Vraiment eu peur. Et Syül aussi. Il avait été terrifié par sa mère plus qu'inquiète.*

["Roher", "épeule"... Punaise, j'fais fort :shy: :lolvert:]

*Van hocha la tête de satisfaction et se retourna à côté de Syül pour "admirer" le paysage. Il croisa les bras en poussant un soupire indifférent.*

- Tu te doutes bien que l'inventeur ne serait jamais venu si je fais partie du voyage. Non, il y a seulement Spyra et son......"ami". Tous deux de braves gens. Ils avaient l'air ravi d'avoir un chien de garde à l'affût avec eux.

*L'inventeur... Domage. Vanycent n'avait pas eu le temps d'expliquer à Cyd ce qui était la cause de la haine du second envers le premier. Pourtant, ce même second avait semblé moins.....distant après la scène où leurs âmes avaient été ramenées dans ce monde. Les humains sont si étranges. Allez savoir.*

""Ami"...Hum..."
*Syül battit des paupières.*
"Combien de temps penses-tu rester ici?"
*Lui, Syül, il n'en savait rien. Selon le bon vouloir d'Aube, ou celui de ses parents, ils supposait. Mais ils étaient habitués à le voir solitaire, peut-être accepteraient-ils que Siül reste...Sans son frère...Siül aimait Aube, et le problème était bien là. Autrefois, ils étaient les meilleurs amis du monde, et leurs centres d'interêt convergeaient. Le fait que Syül soit un "prêtre" du culte des ancêtres dragons d'un grade plus élevé ne dérangeait pas Aube. Le fait qu'Aube soit le second de la couvée, donc celui avec le plus de puissance après l'Héritière, ne dérangeait pas non plus l'argenté. Le vampire soupira. La vie n'était pas facile pour une aberration, un croisement aussi étrange que celui de dragon-vampire...*

*Vanycent haussa légèrement les épaules.*

- Aucune idée. Ce n'est pas moi qui décide. Et, pour être franc, cela m'importe peu. Du moment qu'on ne me fasse pas de remarques désobligeantes...

*Il ferma un instant les yeux, laissant son visage blême se faire fouetter par la soudaine bise montagnarde, ses longs cheveux bruns semblant accompagner la cape rouge et ses claquements. Lorsqu'il les rouvrit, il jeta un regard à Syül.*

- As-tu revu ta déesse, Aurore, depuis le lever du soleil sur l'un des toits d'Astemir ?

*Depuis qu'il avait rencontré Siül et en avait appris plus sur les us et coutumes des Aeryels, même des dragons en général, il avait longtemps réfléchit sur l'importance de croire en quelque-chose, existant ou pas, mystique ou non. Il enviait presque les dragons d'avoir été élevés dans de pareilles traditions. Croire... L'homme-dragon fronça ls sourcils. Etait-ce donc si difficile pour lui !?*

Aurore n'est pas la même que dans ma terre natale, mais oui, je la revois, toujours, tant qu'un peu de de sang...anonyme coule dans mes veines et sur mes crocs...Pour résister à ses rayons qui me brûlent...

*Syül, ex-"prêtre", parlait de plus en plus rarement de sa déesse, curieusement alors qu'il perdait la notion de temps. Il était éternel, et elle! une déesse, était...morte, selon les légendes. Curieux, ça, il ne se souvenait plus des moindres détails qu'il avait appris par coeur étant plus jeune, vénérant avec une adoration éperdue son illustre ancêtre. Qui avait tué Aurore? Il ne savait plus. Il savait seulement que c'était sa déesse, et qu'il voulait revoir ses "cendres", une fois de plus. Le matin...*

Mon ami, j'ai peur de mon éternel futur...

*Vanycent haussa les sourcils, légèrement étonné. Syül avait peur de son avenir ? Remarque, il le comprenait. L'un était éternel, l'autre pouvait vivre juste un peu moins vieux que les elfes et plus que les humains. Les deux verraient, un jour ou l'autre, les personnes qui leur sont chères mourir avant eux.
Pour une fois, le dernier Manoirouge ne sut quoi répliquer. D'habitude, il trouvait toujours une bricole existentielle, une phrase pertinente avec un groupe nominal et un verbe. Là, silence radio. Rien de rassurant -ou pas- ne lui venait. Enfin si, mais au-delà des mots. Il garda les yeux sur l'horizon et battit des paupières comme pour se donner de la contenance.
Rien à faire, il ne pouvait que laisser son silence signifier à Siül qu'il le soutenait de toute son âme, et plus encore. Parfois, le silence peut dire beaucoup de choses.*

...
*Fit-il remarquer avec sagesse. A mesure qu'il réfléchissait, il oubliait de maintenir son apparence humanoïde, semi-humaine, et grandissait légèrement, la peau de plus en plus métallisée, couverte d'écailles fines et lisses, qui ne semblaient pour le moment que de vagues illusions, mais qui s'amélioraient au fil des secondes. Vampire. Dragon. Dragon-vampire. Vampire-dragon. De toutes manières, sous forme draconique, il n'était pas grand, toujours aussi maladif que lors de sa morsure, toujours aussi maigre et plus fragile que la flamme d'une bougie. En apparence. Il était immortel, nom d'un warg!*

*Et Vanycent. Vanycent se taisait? Syül aussi. Que pouvaient-ils dire? Il vint alors à l'esprit que son ami -un des seuls...- lui ressemblait bien plus que ce qu'il savait déjà. Vanycent aussi avait la promesse d'une vie longue, très longue...Ce qui n'était pas forcément une bonne chose. Mais Syül verrait-il Vanycent tomber? Le dragon, à présent totalement transformé, ferma les yeux et détourna le regard.*

*Le demi-dragon tourna lentement les yeux vers son ami. Cela faisait longtemps qu'il ne l'avait pas vu sous sa forme draconique. Van jeta un regard indifférent à son bras gauche. Il en avait jeté le gant, celui qui cachait sa main de demi-dragon. Le dernier Manoirouge, lui, n'avait qu'une forme. Il en était fier et s'en contentait. Très peu d'inconvénients pour pas mal d'avantages. En revanche... Ses pensées se tournèrent vers sa compagne de route. Elle aussi n'avait qu'une forme. Et il savait que, souvent, elle aurait bien aimé se transformer en quelque-chose de plus discret, bien que ses membres métalliques lui permettaient d'être une adversaire redoutable pouvant tenir tête à un éliphant en furie pendant cinq bons rounds. Leurs esprits étaient toujours liés, assurés que, cette fois, rien ne dormait dans l'âme de la désertique
Vanycent soupira et finit par s'assoir sur un roc, les jambes pendantes dans le vide.*

- Syül, mon ami, tant de craintes et de défis sur nos chemins... Fallait-il à ce point deux damnés pour équilibrer la balance de l'Univers ?

*La crinière du dragon, blanche de neige, voletait dans les airs, comme non régie par la pesanteur, et s'entortillait autour des longues cornes qui allongeaient le crâne de Syül, couvrant par moment ses yeux, telle une tempête de neige domestique et soyeuse. (conclusion: J'aime bien les dragons à cheveux blancs 0_0) Il soupira, et sa voix n'avait aucune différence avec celle qu'il avait sous forme humanoïde, légèrement voilée et complétement...fantomatique et éthérée, et dit:*

Il faut bien plus de deux damnés, je le crains...Mais, frère, j'ai bien peur que...Que nous soyons les seuls disponibles pour le moment.

*Il soupira. Tous les Aeryel n'avaient pas une vie aussi éclairée que celle d'Aube.
Azeredion. Le dragon de glace, le Glacier. Amoureux d'une elfe noire paria, et condamné à faire du mal à ceux qu'il touche...
Narryvia, l'Humaine, au fils défiguré, abandonnée par celui...qu'elle aimait, et privée de sa forme draconique...Selon son propre choix!
Et Feu-d'étoile, l'Effrit. Celui-là, personne ne savait ce qu'il pensait. Ce qui l'animait. La destruction? Le dragon de feu devait être plus complexe, mais il était si dangeureux, et en même temps...si rejeté!
Mais de tous...Et bien, sans pessimisme, Syül se savait être le pire. Parce que son cas n'était même pas tranché. Parce qu'on chuchotait, qu'on était indécis...Qu'on avait pitié et peur en même temps. Syül l'éternel, condamné à voir mourir sa famille qu'il effrayait...Le dragon d'argent baissa l'échine et contempla les gravats du rocher qu'il avait pulvérisé une demi-heure auparavant.*

J'aimerais souhaiter qu'au bout du calvaire...Il existe une paix pour nous deux. Mais...

*Il ferma les yeux. Vanycent saurait comprendre ce qui signifiait ce "mais"-là...*

*Van resta un instant silencieux, comme buvant par petite gorgée la réplique du dragon d'argent. Fermant les yeux quelques secondes, sa voix à la fois grave, douce, lisse et monotone soupira : *

- L'avenir est la pire des inconnues. Les questions sans réponses les pires des poignards. Nos âmes la plus invisible et légère des poussières.

*Il rangea une mèche brune récalcitrante derrière son oreille au pavillon draconique et leva la tête vers Siül avec des yeux presque doux.*

- Et la Vie le seul thème de nos dialogues.

*Il détourna ensuite la tête pour fixer avec obsession un scarabé rouge perdu parmis les rochers.*

- Parmis tous les sujets qu'il existe, nous avons tous deux désigné celui-ci. Plus j'y réfléchis, plus je me demande si nous n'avions pas eu un autre choix que nos yeux n'ont pas voulu voir, trop aveuglés par nos conditions...

*Vanycent battit des paupières avec un léger air interrogatif, comme si son esprit venait de tilter.*

- Aurait-je formulé ce qu'on appelle "espérance" !?

Esperance...Je ne sais pas...Espoir...Esperance...Esperance d'une paix après la douleur d'être les contrepoids du monde? Peut-être...

*Le dragon d'argent allongea l'encolure, laissant librement sa crinière si fine et si blanche voleter au vent, et ouvrit les yeux, un regard fixe posé sur une montagne de la chaîne d'Idh. Il devait sans cesse reprendre ses fragiles ailes de chauve-souris, transparentes, qui s'échappaient pour se gonfler telles les voiles déchirées d'un navire abandonné. Il était si fragile! Et il le savait. Et si puissant...
Il baissa la tête jusqu'à avoir le museau près de sa "main" droite, et se mordit très doucement la paume, s'aspirant quelques gorgées de sang dénaturé. Ce n'était pas aussi bon que le sang des vivants, mais cela tromperait le soleil pour quelques heures. Lorsqu'il retira les grands crocs qui déformaient son mince museau chevalin, les écailles se ressoudèrent immédiatement. Une langue plus grise que rose rattrapa au vol la dernière goutte de sang. Le dragon se retourna avec délicatesse.*

Nous sommes fragiles, Vanycent. Irons-nous jusqu'à la paix, ou serons-nous réduits en cendres avant?

- Réduits en cendre... Par qui ? Par quoi ? Notre seul ennemi en ce bas monde, c'est......nous. Nous-même. Nous sommes tellement différents des autres que nous sommes incapables de nous attirer leur foudre à proprement dit, car nous restons des phénomènes de foire.

*Van ne put s'empêcher d'éternuer en un souffle, une graine plumeuse lui ayant chatouillé les narines. Il réajusta ensuite son bandeau et, ses yeux rouge foncé scrutant la forêt en contre-bas, soupira pour la énième fois.*

- Si fragiles face à la plus petite graine… D'aucuns en seraient vexés. C'est pourtant vrai. Nous ne dépendons de personne, nous sommes à la fois coriaces et vulnérables...

*Il cligna des yeux et fit lentement balancer ses jambes dans le vide comme un enfant qui aurait perdu son innocence.*

- La paix... La paix de l'âme ? Si notre âme arrive à guérir de ses blessures imortelles, ce sera notre conscience qui nous poursuivra avec toujjours les mêmes interrogations... "Qui sommes-nous", "où allons-nous", "à quoi servons-nous"... Nous n'en serons jamais débarrassés.

La paix...Est-ce la mort? La paix est si lointaine...Pourtant, je suis déjà mort, il y a...Une dizaine d'années...Plus...Moins...Je ne sais plus, mon ami. Quand mourrons-nous? Voilà une question qui n'interesse pas grand-monde, j'en ai peur...Mais dans suffisamment longtemps pour voir nos "amis" vivre et mourir, et nous laisser seuls...
*Le dragon poussa un long soupir, et ses pattes se dérobèrent sous lui alors qu'il s'allongeait sur le rocher, insensible aux brûlures qui commençaient à tacher son cuir blanc-argenté. Sous les rayons, il ressemblait à une grande gargouille d'argent, un antique gardien, une pierre polie, quelque chose d'immuable et de si fragile...Il ressemblait à une de ces statues parfaites, en armure de métal, que l'on n'osait cependant toucher de peur qu'elle s'envole en poussière...*

*Le dernier Manoirouge se contenta de baisser la tête et de fixer ses bottes qui ne voulaient plus bouger.*

- D'habitude, les Autres profitent de la vie sans se soucier de la mort. Et nous, nous sommes rendus à nous interroger sur quand nous nous éteindrons...

*Van cligna des yeux, rangea ses longs cheveux qui lui venaient sur le visage à cause du vent de dos, puis il murmura après un instant de silence :*

- De toute façon, nous sommes condamnés.

*Et il resta immobile, statue de marbre rouge aux taches blanches à côté de l'imposante gargouille d'argent, seuls ses longs fils de jais daignant danser avec le souffle frais des montagnes.