VI – Un cœur palpitant
Gwenn traversa des ponts de vigne robuste au dessus de gouffres sans fin, encore quelques dunes de sable rouge, des étendues d’herbes hautes et coupantes, des chemins de terre battue bordés par de stoïques bambous, des collines envahies pas les fleurs, chaque seconde un nouveau paysage. Son émerveillement n’avait plus de limites. Quelques heures à peine après la découverte de la fissure luxuriante, Gwenn arriva aux Contrées Sauvages, sans s’arrêter pour autant. Courrant à en perdre haleine, elle ne voulait manquer aucune miette de ce perpétuel spectacle orchestré avec mæstria par Melandru. Elle ne manquait aucune occasion de se recueillir devant les nombreux autels dédiés à la déesse. Certains étaient e simples blocs de marbre fissuré et recouvert par la végétation, gravés de quelques mots sacrés. Mais d’autres étaient de véritables chefs-d’œuvre, des sculptures naturelles étonnantes de détail et de précision, représentant la déesse, corps de bois clair, cheveux d’humus, robe de fleurs et parures de lianes. Ça et là gisaient parfois des vestiges d’anciens bassins de pierre, depuis longtemps remplacé par des fontaines naturelles de bois et de feuilles, pro.
Ce furent bientôt les Chutes de Quarrel et le bruit apaisant de ses eaux bouillonnantes que croisa Gwenn, mais elle ne s’y arrêta pas ben longtemps….
Elle ne s’accorda une pause qu’en se retrouvant, avec surprise, les pieds dans le sable rouge. De nouveau, l’horizon poudroyait et l’air était brouillé par la chaleur. Elle se sentit déboussolée et, quelque part, un peu trahie. Ce monde végétal dans lequel elle se sentait si bien ne pouvait être si restreint, un simple petit cœur palpitant étouffé de tous côtés par la chaleur et la poussière. Le paradis sauvage de Melandru méritait bien plus que ce territoire restreint, ce ne pouvait en être déjà la fin !
Abattue, elle s’adossa contre un arbre protecteur à l’écorce chaude et striée de fissures, dont le feuillage tombant formait un rideau rassurant autour de la jeune nécromante. Se pouvait il que la Lame Brillante lui ai menti de bout en bout ? Et l’artiste itinérant qui l’avait tant émerveillée ? Elle n’avait pas encore aperçu la moitié de ce que les esquisses représentaient avec tant de magie… Elle sortit la carte que Ryder, une éclaireuse de la Lame Brillante, lui avait confiée quelques semaines auparavant et la compara au paysage aride qui s’offrait à elle. Elle indiquait bien les mêmes collines et les mêmes sentiers mais aucun retour au désert. Le papier parcheminé teinté de vert indiquait une jungle de plusieurs dizaines de kilomètres sans interruption.
De dépit, Gwenn frappa du poing l’écorce de l’arbre auquel elle était appuyée. Une colonie de fourmis affolée sortit en catastrophe des sillons profonds du bois. L’arbre tout entier frémit et les branches s’agitèrent imperceptiblement, menaçantes. Effarée et craignant quelque représailles, Gwenn joignit les mains en murmurant maladroitement quelques mots d’excuses. Quand elle fut certaine que ce n’était plus que le vent qui agitait les feuilles de l’arbre, elle se releva et étudia de nouveau le plan. Il indiquait un refuge à quelques pas de là, à l’entrée d’un marais surplombé par une mangrove. Il devait être asséché, ou n’avait peut être jamais existé autre part que sur cette carte fallacieuse qu’elle n’aurait jamais du accepter, pensa la nécromante. Elle se remit en route, fermement décidée à s’expliquer avec l’organisation rebelle de la Lame.